FRICASSÉE
Et déjà les souvenirs en pagaille. Dans cette course qui ne sera jamais
comme les autres, un coureur harassé s’est installé à la table des
Fafchamps. Une autre Monique quitte la table de ravitaillement des
kilomètres 9 et 23 pour se glisser en cuisine. Une bonne fricassée au
menu et le coureur, qui croyait devoir en rester là, repartira pour
terminer...avec le sourire. 1h59’15’’ pour Heywood et Simonet. Il faudra
toujours terminer sous les deux heures pour remporter les Cimes. Le
premier à faire exploser les chronos étant Eddy Hellebuyck, en 1991.
Celui qui est alors notre meilleur marathonien (qualifié pour les Jeux
Olympiques d’Atlanta) place la barre à 1h52‘45“, descendant le
précédant
record de plus de quatre minutes. Hellebuyck vaut alors 2h12‘ sur les 42
km 195 et on se dit que le record tiendra des années, les Cimes, course
populaire par excellence, n’ayant pas pour habitude d’acceuillir des
pointures internationales.
OBSTINÉ
Et pourtant. Même si le fragile Eddy a plané au dessus des cimes, un
homme de près de 40 ans fera mieux... sept ans plus tard. Peter De Vocht
est de cette race de Flandriens obstinés, insensibles au mal et
hyper-généreux dans l’effort. Avec une classe innée en toile de fond. Et
celui qui resta longtemps un de nos meilleurs crossmen parvient à
réussir l’impossible : 1h51‘56“. Près d’une minute de mieux
qu’Hellebuyk. Chapeau… et désolé Peter, on n’y croyait pas. Le Flandrien
signait du coup sa troisième victoire. Une juste récompense pour un
coureur fidèle qui, par ailleurs, aurait pu décrocher quelques primes
fructueuses dans des courses à philosophie différente. Hormis la
traditionnelle assiette du comité de quartier de Bouxhmont (quelle
équipe!), De Vocht sait qu’ici tout le monde est au même régime. La
récompense, du premier au dernier, c’est simplement une inscription
gratuite, un casse-croûte et une course entièrement vouée au respect du
coureur.
RECORDMAN
Avec ses trois participations, et autant de victoires, Peter reste le
recordman des Cimes (deux victoires pour Simonet et De Bergé). Du moins
chez les hommes. Car, chez les dames, l’Allemande Gaby Reiners a frappé
un peu plus fort encore (quatre victoires, dont trois consécutives, en
92,93 et 94). Et puisqu’on en est aux records, n’oublions qu’une dizaine
de gars ont participé aux seize premières éditions.
MONTAGNE
Avec un nom pareil, les Cimes ont voulu jouer la carte montagne dans un
pays réputé pour sa platitude. C’était mal nous connaître... Pas pour
longtemps puisque, dès la deuxième édition, c’est un spécialiste belge
des courses de montagne qui s’impose. Personne n’a oublié sa tignasse de
feu. Jan Sebille, le rouquin, n’a pas digéré le «coup de bois» de
l’année précédente (44e après avoir figuré dans le groupe de tête).
Comme ce sera souvent le cas par la suite, il fait la différence dans la
cime de Mauhin, la troisième. Ils sont déjà près de 500 à crapahuter sur
les petits chemins du plateau. Et des dizaines à venir faire la fête,
dès la veille. Le château des Fawes devient notre Versailles. Dans les
grandes salles désuetes, les rires sonnent clairs quand bière et vin
s’allient pour délier les langues. Toutes les langages s’enlacent pour
ne plus faire qu’un seul message. Et cela n’a vraiment plus d’importance
dans la danse des mots, français, flamands, anglais, allemands,… Le tout
ponctué de wallon pour le plaisir de la musique des mots.
ÉMOTION
Dans la nuit proprice, l’avenir se dessine aussi. Neuf après une nuit
plus douce encore que toutes les autres, voici que le petit Hervé (…vous
voyez le rapport!) débarque dans la maison du plus hervien des couples
hollandais : bravo les Cuypers! Ils sont encore là aujourd’hui. Tous les
trois. Et Bernard Viaene les acceuille toujours avec le même plaisir et
la même émotion. Son copain Guy Pirlet, lui, n’en finit plus de
décortiquer la course. Tiens, en 1988, pour la troisième édition, il y a
33 coureurs étrangers au départ. 33 pour 33 kilométres.
«BRITON»
Lors des dernières éditions, ils ont à chaque coup représentés environ
un quart du peloton. Un résultat dont les organisateurs ne sont pas peu
fiers. Le plus fidèle d’entre eux restant le «Briton» Brion Heywood qui,
jusqu’ici, à gagner dans toutes les catégories. Sauf en espoirs puisque,
dans son cas, la course n’existait pas quand il figurait dans cette
catégorie. On retrouve d’ailleurs trois vainqueurs anglais au palmarès
des Cimes; outre Heywood en 86, Steve Surritge en 88 et Chris Cook en
89. Tout en regrettant que le fidéle Peter Smith, sans doute un des plus
réguliers dans le TOP 10, n’ait jamais accroché la victoire scratch. Il
faut dire qu’après sa double victoire chez les juniors (88 et 89), il
dut consacrer une partie de son énergie à un autre défi… la conquête de
Jane. On a beau faire l’apologie de la course populaire, on n’est pas
peu fier quand les médias consacrent votre...popularité. C’est le cas en
89 avec l’arrivée des caméras de télévision sur le terrain. RTBF puis
Télé-Vesdre. Comme leurs collègues de la presse quotidienne, ils ont
souvent relayé nos bonnes intentions. Ce qui, finalement, fait de nous
des organisateurs comblés. Car, de tous côtés, nous avons toujours
ressenti un gros capital sympathie; au point que nos sponsors, aussi,
sont d’abord des amis. La ville de Herve occupant un poste-clé dans la
pyramide 4 Cimes. Avec un José Spits éternellement serein dans la mise
en place de ses hommes sur le terrain et un André Smets, le bourgmestre,
éternellement enthousiaste dans sa vision du sport pour tous.
RUGBYMAN
«Vive le sport…». Et comment! Car, sur la route, il est tellement
d’occasions de s’émerveiller. Quand Cliff Cook, vainqueur cette
année-là, nous apprend qu’il ne court que depuis dix mois. Avant, il
était rugbyman. Ou quand, sur la queue du serpent bariolé qui se love
sur le grand paysage, Marie-Thérèse Gaspar termine sur ses chaussettes
(«J’avais vraiment trop mal aux pieds. C’était bien plus agréable sans
godasses»). Si chacun a vraiment quelque chose à raconter au bout du
périple, alors, seulement, on a tous le sentiment d’avoir gagné. Avec ou
sans godasse, l’élan continue. La rumeur s’amplifie. Nous voici en 1990
et le peloton a pratiquementr doublé de volume. Héros malheureux de la
première édition (battu d’une poitrine par Heywood), Bernad Simonet peut
savourer sa revanche. Un summum pour quelqu’un qui n’a pas du tout
l’esprit… revanchard.
C’est l’année de tous les records :
- record général pour Simonet (1h56‘37“)
- record vétéran pour Heywood (2h00‘44“)
- record dames pour Jane Hopper (2h19‘44“)
- record pour le dernier classé (3h47‘38“)
- record de participation (582)
- record d’arrivée (563).
1000
Dix ans plus tard, on commencera à fliter avec les 1000 participants.
Tant mieux mais pas tellement un but en soi; car, à Battice, la salle du
Sacré-Cœur «craque» de toutes parts. Tous ces gens venus d’ailleurs nous
donnent chaud au coeur. Même s’il ne rentrent par forcément dans les
plans de nos meilleurs coureurs régionaux qui, on s’en doute, voudraient
particulièrement briller devant leurs supporters. Le premier à créer la
brêche sera Dédé Malherbe, en 1992, juste après la fameuse démonstration
d’Eddy Hellebuyck, l’année précédente. Pas toujours gâté par le destin,
Dédé est un de ces coureurs attachants qui, plus d’autres encore, ont
trouvé dans la course une bonne façon de dribbler le mauvais sort.
LIÉGE-BASTOGNE-LIÉGE
Sur la chaussée, les premières inscriptions apparaissent. Comme dans les
cols du Tour de France. Et soudain, le public est plus nombreux aussi.
Un spectateur fait remarquer : «On ne connaissait pas la course à pied.
Mais, chez vous, on a un peu retrouvé l’ambiance d’une course cycliste
comme Liège-Bastogne. On est là simplement pour admirer l’effort. Des
premiers, légers comme le vent. Comme des derniers dont on a
l’impression qu’ils labourent l’asphalte». En 93, ils seront tous à se
poser des questions. D’un bout à l’autre d’un peloton carrément balayé
par la tempête.
ORAGE
En vedette, l’orage! Cinq minutes avant le départ, la banderole de
départ et les poteaux qui la soutiennent s’effrondent. Les calicots
s’éparpillent en tous sens. Au point que l’angoisse s’installe : faut-il
renoncer? Par crainte d’une branche meurtrière, d’un panneau assassin.
Mais la tourmente n’arrête pas le coureur à pied. Surtout pas Bernard
Simonet qui devient le premier coureur à réussir le doublé. Comme la
plupart de ses compagnons de route, il expliquera, tout simplement :
«Avec ses éléments déchâinés, c’était encore plus beau, plus
enthousiasmant». Pour les Cimes, plus jamais question de tourmente. Dans
les années 90, ils seront toujours un peu moins ou un peu plus d’un
millier à expédier chez Guy Pirlet le formulaire d’inscription. Et cette
année, il n’a pas été un jour, depuis fin août, sans que notre ami n’ait
puiser sa ration au fond de sa boite aux lettres.
LEÇON
Ils veulent tous en être. Y compris Christian Demoulin, premier athlète
en chaise roulante, à tenter le pari. Insensé quand on connait la pente
de certaines portions du circuit et les revêtements quelquefois
incertains. Nouvelle leçon de vie. Christian ne ratera plus une seule
miette de la fête. Et poussera l’obstination jusqu’à parcourir les 33
kilomètres plus vite que les meilleurs coureurs. Non sans avoir poussé
le savoir-vivre jusqu’à terminer deux fois en compagnie de Peter De
Vocht lui-même. A coup sûr la plus belle de toutes les belles images des
Cimes. Ces arrivées communes de deux athlètes aux destins croisés mais
heureusement puisés à la même source de l’effort partagé. Les régionaux
continuent à subir la loi des coureurs venus d’ailleurs; malgré la
hargne d’un Robert Zaradski d’autant plus motivé que sa maison borde le
parcours, dans le secteur de Holiguette. Le beau Robert devra se
contenter de plusieurs places d’honneur. Et il faudra attendre l’arrivée
d’Eric Gérôme pour retrouver une victoire régionale au palmarès des
Cimes (1966). Pour le Sprimontois, c’est le début d’une belle carrière
de marathonien.
PLUS DE 60
Cette année-là, on retrouve 30 coureurs de plus de 60 ans à l’arrivée.
Le bonheur n’a pas d’âge. Si les Cimes ont toujours eu, jusque-là, une
coloration belgo-britannique, 1997 sera une édition 100 pour 100
allemande avec les victoires de Klaus Seifert chez les hommes et de’Anne
Bierth chez les dames. Ces dames, elles sont de plus en plus nombreuses.
L’année dernière, elles étaient 80 au départ et 64 à l’arrivée.
Pourquoi
pas une centaine ce dimanche 10 novembre? Si les 4 Cimes ne sont pas
vraiment une affaire de jeunes, Bart De Bergé va démentir les
statistiques deux fois de suite (99 et 2000) au lendemain de la course
record de Peter De Vocht, en 1998. Lors de sa première participation, le
Flandrien n’a que 23 ans. Déjà deuxième en 97, De Bergé se retrouve seul
en tête dès la fin du premier kilomètre. Erreur de jeunesse? Pas du
tout. Au sommet du mur de Bouxhmont, la différence avec les autres est
impressionnante : huit minutes d’avance sur Marc De Vocht,… le frère de
l’autre.
RAP
Christian Demoulin et sa chaise roulante ont connu quel-ques pépins.
Mais le Hervien a gardé des ressources pour l’après-course. En soirée,
il est sacré roi du rap! Au delà des courses, les fidéles sont aussi là,
tous les soirs de tous les rendez-vous des Cimes. La musique apaise les
dernières douleurs. Côté musique, c’est le clairon qui sonne la charge,
en 2001, avec la présence de l’équipe militaire belge de courses de
montagne. Les gars de la défense sont au mieux de leur forme et José
Istace le meilleur d’entre eux. A leur façon, nos militaires apportent
aux Cimes un peu de renommée supplémentaire.
SÉRÉNITÉ
Alors qu’un super-favori avait dominé les débats les années précédentes
(De Vocht, De Bergé, Istace), quatre coureurs ont été en mesure de
l’emporter en 2002 : Hamelinck, Herbet, Gruloos et Willems. Le premier
finissait par s’imposer, devenant ainsi, à 20 ans, le plus jeune
vainqueur de l’histoire des cimes. Dommage pour Henri Herbet, le
régional, magnifique deuxième pour sa plus belle course sur le plateau.
Record d’arrivées… 886!