Histoire des 4 Cimes (Le Courrier de Herve le 23 oct 2004) Nederlandse versie (klik hier)
Bientôt 20 ans! Pas encore cette année mais bien en 2005! Pour une course qui, grâce à votre enthousiasme, garde son humeur de belle adolescente.
2005 : un anniversaire qui devra compter. Pour tous ceux qui ont jusqu’ici porté et entretenu la philosophie des Cimes. Celle d’une course entièrement tournée vers le respect et le plaisir du coureur.
Pour ceux, aussi, qui seront appelés à entretenir et à bonifier encore le travail des «anciens». Même si, depuis 1986, le temps nous est apparu suspendu au dessus du «Grand Paysage».
Pour nous, rien n’a vraiment changé. Sinon que vous êtes de plus en plus nombreux à partager l’amour du chemin à parcourir. Sinon que les souvenirs se couvrent parfois de quelques brumes. Comme celles qui dévorent parfois le dos arrondi de nos collines. Elles ne nous ôtent pas les plus belles images de l’aventure. Comme ce premier coup de balai sur le pavé du marché aux bestiaux de Battice. Et une première arrivée où le premier ravitailleur avait tout simplement oublié d’amener son ravitaillement. Quelques seaux et quelques gobelets suffirent alors à sauver de la soif les 300 premiers téméraires à rallier le mur de Bouxhmont. Aujourd’hui, plus de 2.000 litres de boissons diverses (eau, thé, AA Drink,…) et 10.000 gobelets garnissent les huit ravitaillements.
Brion Heywood, vainqueur de la première édition de ces Cimes, est resté un fidèle d’entre les fidèles. Avec brio puisqu’il a gagné dans toutes les catégories, sauf chez les juniors… puisque les Cimes n’existaient pas encore quand il militait chez les espoirs. A lui seul, il représente le formidable engouement des Cimes auprès des coureurs étrangers et de nos amis flamands. Au point qu’ils constituent, ensemble, la majorité de la troupe colorée qui arpente chaque automne les 33 kilomètres d’un parcours qui, rappelons-le, ne compte que 1.600 mètres de plat.
Si le but des organisateurs était et reste de faire découvrir à leurs «potes» coureurs un des paysages les plus attachants de Belgique, ce fut aussi l’occasion pour une population rurale de s’émerveiller à la vue de ces femmes et de ces hommes de tout âge venus communier dans un effort physique dont elle ne les aurait jamais crus capables. Alors, cette population se coupe en quatre. Comme Monique, au ravitaillement de chez Fafchamps, qui n’hésite à passer en cuisine pour servir une fricassée salvatrice à un concurrent à la dérive.
Sur la route, le sport, lui, se nourrit de chiffres. Lors de la première édition, Brion Heywood et Bernard Simonet, sont déjà sous les 2 heures (plus exactement 1h.59’15’’) la main dans la main. Par la suite, il faudra presque toujours finir sous ces 2 heures pour pouvoir gagner les Cimes. Une seule exception, en 2002, avec Wouter Hamelinck (2h.01’05’’).
Mais si les 4 Cimes restent avant tout la fête de la course populaire, quelques «grosses pointures» commencent à s’y intéresser. Certaines ne viendront jamais, étonnées qu’on ne puisse pas leur offrir une prime de départ. D’autres ont vu dans la réputation montante des Cimes une bonne occasion de faire parler d’eux.
C’est le cas d’Eddy Hellebuyck qui, en 1991, est un de nos meilleurs marathoniens (plus tard, il parviendra d’ailleurs à se qualifier pour les Jeux Olympiques d’Atlanta). Hellebuyck, c’est le premier coup de tonnerre sur les Cimes. L’homme, qui vaut alors 2h.12’ sur les 42 kilomètres 195, domine la course de la tête et des épaules. En 1h.52’45’’, il abaisse le meilleur chrono de plus de quatre minutes… sans avoir jamais du puiser dans ses réserves. Et apprécie tellement l’ambiance qu’il sera un des derniers à quitter la salle de Battice… pour prolonger la virée dans la chaleur des bistrots liégeois. Une grande année!
La performance d’Hellebuyck, n’en rend que plus brillante celle réalisée par un fabuleux quadragénaire… sept ans plus tard. Cet homme, c’est Peter De Vocht. Un sacré Flandrien que nous nous sommes permis de baptiser «Monsieur 4 Cimes», l’année passée, à l’issue de sa quatrième victoire. Mais, nous n’en sommes pas encore là. Déjà vainqueur en 94 et 95, Peter De Vocht n’a cessé de s’améliorer, pour planter le record à 1h.51’56’’ en 98.
L’année dernière, il nous livra une nouvelle facette de sa propre légende. Celle d’un coureur obstiné, toujours ardent à la lutte. Menacé par un Olivier Pierron en super-condition, il eut un terrible sursaut de finisseur, dans les trois derniers kilomètres, pour faire triompher une pointe de vitesse forgée dans un riche passé de crossman. Si Peter, pour nous tous, mériterait quasi une médaille olympique, il doit se contenter de la plus modeste assiette d’étain offerte aux meilleurs coureurs des cimes par le dynamique Comité de quartier de Bouxhmont. Mais Peter sait apprécier : «J’ai un bonheur tout particulier d’être accueilli ici. Je ne vois que des gens souriants, entièrement dévoués à la course. Pour moi, c’est la plus belle des récompenses…».
Pour nous aussi, organisateurs, qui pouvons compter sur près de 300 bénévoles; dont les membres de ce Comité de Quartier de Bouxhmont qui nous a soutenu sans faille et sans relâche depuis 1986.
Avec ses quatre victoires (94, 95, 98 et 03), Peter est donc le recordman des Cimes mais on n’oubliera pas de souligner que Simonet et De Bergé comptent pour leur part deux victoires à leur actif. Chez les dames, c’est l’Allemande Gaby Reiners qui est la reine des Cimes : quatre victoires également (92, 93, 94, 98). Les quatorze autres victoires ayant été réparties en autant de championnes. Dont la locale Stéphanie Derouaux, l’année dernière, en guise de cadeau de noces. La noce et les cadeaux, c’est peut-être ce qui rapproche le plus les «gens des Cimes». Parce que la course n’est en fait qu’un bon prétexte à la rencontre. Qu’il s’agisse de galoper ensemble au flanc de coteaux ou de trinquer le soir quand la noirceur de la nuit a un peu plus rapproché encore les cœurs en pagaille. Comme ceux de la famille Cuypers qui compte en ses rangs, aujourd’hui, un petit… Hervé conçu dans la tiédeur d’une nuit de novembre, plus douce que de coutume. Ainsi, à chaque coup, les nations se mélangent un peu plus. Anglais, Hollandais, Français, Suisse, Luxembourgeois, Américains, Autrichiens,… Flamands et Wallons.
Nos amis étrangers représentent chaque année près d’un quart du peloton. Un résultat dont nous ne sommes pas peu fiers. On l’était déjà en 88 quand on retrouvait exactement 33 étrangers au départ; comme pour saluer les 33 kilomètres du parcours.
On savoure ainsi le bonheur de retrouver trois «étrangers» au palmarès des victoires; trois Anglais : Brion Heywood (86), Steve Surritge (88) et Cliff Cook (89). Ce qui ne nous empêche pas de regretter à tout jamais que Peter Smith ne figure pas lui aussi en haut du tableau. Vainqueur chez les juniors en 88 et 89, parmi les plus réguliers dans le top 10, Peter flirta quelques fois avec la victoire au général… sans jamais pouvoir se l’approprier; sa réussite fut heureusement tout autre quand il se lança dans un autre challenge qui lui permit de décrocher le cœur de Jane. Mais cela, c’est une autre histoire.
Nos copains anglais, contrairement à l’étiquette qu’on cherche parfois à leur coller, ne fonctionnent pas nécessairement dans les règles de l’art. Ainsi, qui aurait pu croire que Cliff Cook courait seulement depuis dix mois quand il s’imposa en 89. Sa détermination, il l’avait acquise sur les terrains de rugby. Un vrai sportif, tout simplement.
Le miracle des Cimes, c’est qu’ils sont des dizaines, chaque année, à pouvoir nous raconter des histoires étonnantes ou à écrire l’histoire des Cimes eux et elles-mêmes. Comme la Spadoise Marie-Thérèse Gaspard qui termina un jour sur ses chaussettes parce que ses pieds lui faisaient vraiment trop mal dans des godasses en cavale. Comme ce fermier du pays qui, n’ayant pas osé s’inscrire, s’empressa de nous expliquer qu’il avait fait la course tout seul, trois jours plus tôt.
Comme beaucoup d’habitants de la région, il a découvert les Cimes par le biais du journal que vous avez entre les mains pour le moment. Puis est venu se planter le long du parcours, pour apprécier cet «esprit montagne» qu’il avait, en lui depuis toujours et dont il n’avait peut-être pas discerné totalement les contours. Et ce fut l’occasion d’applaudir le rouquin Jan Sebille, spécialiste belge des… courses de montagne, vainqueur de l’édition 87 et heureux, ainsi, de tirer un trait sur sa terrible défaillance de l’année précédente.
La course vit toujours sa pleine jeunesse mais le succès est bien là. Nous voilà déjà au delà des 500 participants et les médias s’intéressent de plus en plus au rendez-vous de novembre. En 89, les caméras de télévision balayent le paysage et l’immense serpent bariolé qui se love entre mamelons et vallons. La presse,… merci les amis, nous restera fidèle.
De cette fidélité qui balise l’histoire des 4 Cimes. Dont celle de la Ville de Herve et des plus sportifs de ses représentants. Ils sont nombreux dans le sillage du bourgmestre André Smets et de l’échevin José Spits. La fidélité d’une région fait de nous des organisateurs comblés. Car, de tous côtés, nous avons toujours ressenti un fort capital de sympathie; y compris chez ceux que nous avons appris à ne plus considérer comme des sponsors mais comme des partenaires, voire des copains.
L’investissement de toute une région entraîne immanquablement le succès. Au point que le peloton a doublé de volume au début des années 90. Tranquillement, on filera vers le rythme actuel de croisière qui nous vaut l’honneur d’accueillir quelque 1.000 concurrents, chaque année, depuis l’an 2000 et son lot de symboles. Sans doute le bon chiffre dans la mesure où cela correspond à la cote maximale d’accueil de la salle du Sacré-Cœur. Une salle qui craque de toutes parts à l’heure de la cérémonie des vainqueurs, en fin d’après-midi. Un moment de profonde sympathie qui n’est pas une remise de prix mais bien un hommage des organisateurs et de l’ensemble des coureurs envers ceux qui, au général comme dans les catégories, se sont simplement montrés meilleurs que tous les autres. Ce furent souvent des gens venus de loin. Même si les meilleurs coureurs régionaux ont toujours tenté de faire bonne figure devant leurs supporters.
Le premier à créer une brèche fut Dédé Malherbe, en 1992, juste après la fameuse démonstration d’Eddy Hellebuyck, l’année précédente. Une victoire accueillie avec d’autant plus d’émotion qu’elle était dessinée à la pointe des souliers d’un garçon qui avait puisé dans le sport l’art de dribbler un destin un peu trop ingrat. Avec lui, les autres coureurs wallons au palmarès sont Bernard Simonet (90 et 93), Eric Gérôme (96) et José Istace (01).
Comme Hellebuyck, Gérôme est parvenu depuis à accrocher un temps de 2h.12’ sur marathon. Comme quoi… Coureurs et supporters ne doutent plus, depuis longtemps, de la valeur sportive d’une course comme les 4 Cimes. Avec un tracé parfois comparé à celui qu’affrontent les coureurs cyclistes de Liège-Bastogne-Liège. La configuration du parcours permet en effet aux plus enthousiastes supporters de suivre l’effort des coureurs en plusieurs endroits. Comme à L-B-L. Guy explique : «Là, en pleine côte, l’effort de l’athlète est palpable. Comme un souffle puissant. Impressionnant. Admirable».
Question démonstration, Christian Demoulin n’en est pas avare. Habitant sur le parcours, Christian connaît la musique du vent qui siffle sur le plateau. Il en dévale les pentes en chaise roulante depuis un coup du sort qui ne l’a pas abattu, mais au contraire, l’a conforté dans sa volonté de vaincre le destin ou de vaincre tout court. Il a été le premier à tenter le pari, disait-on insensé, de s’aligner en chaise sur un parcours fait pour se casser la nuque à chaque virage ou sur un des multiples pièges tendus par une vraie chaussée de campagne. Depuis sa première tentative, en 93, il ne manquera plus une seule miette du spectacle. Souvent pour le meilleur. Caracolant, la plupart du temps devant la meute et terminant à deux reprises, image ô combien émouvante et symbolique, en compagnie de Peter De Vocht lors de deux de ses quatre victoires. Comme la signature d’un sport qui gomme les différences, à tout jamais. Un signe merveilleux pour des organisateurs dont le but n’a jamais été que d’offrir la même course et le même bonheur à chacune et chacun, du premier au dernier. Une philosophie récompensée par les propos de Bernard Simonet au terme de sa victoire de 93 alors que l’orage avait balayé la course et laminé les organismes : «Les éléments déchaînés ont encore rendu la course plus belle et plus passionnante. Dans un paysage plus gigantesque encore. Une vraie épopée». L’angoisse s’était pourtant invitée au rendez-vous quand un mât s’était abattu, brusquement, à quelques minutes de l’envolée, sur la ligne de départ. Une hésitation. On abattait tout et on repartait quand même. Personne ne s’est plaint. Personne n’a gémi. Quel belle aventure!
On en restera là pour la tourmente. Même si les organisateurs, parfois, connaissent un petit passage à vide. Mais l’autre est là pour effacer une lassitude passagère. Guy, Michel et Bernard gardent la main. Fernand vogue un peu vers son désert mais promet qu’il pense déjà au vingtième anniversaire. Dominique arrive… et les copains du Herve-Athlétisme restent éternellement présents. Tant il est vrai que le bonheur n’a pas d’âge. On le constate au fil des éditions des 4 Cimes qui, il faut bien l’avouer, accueillent davantage de dames au front plissé et de messieurs aux tempes grisonnantes que d’adolescentes s’éveillant à la vie ou de jeunes gars au cœur d’artichaut. Ainsi, en 96, on découvrait que trente coureurs de plus de 60 ans avaient réussi à atteindre l’arrivée.
Les Cimes affaire de vieux? Pas à ce point si on veut bien se souvenir que Bart De Bergé (victorieux en 99 et 2000) n’avait que 23 ans lors de son premier succès.
Quant aux dames, elles étaient une centaine au départ de la dernière édition. Un chiffre légèrement supérieur à la moyenne dans la répartition habituelle des sexes sur les épreuves de course à pied.
Cette année, ils seront encore un millier au départ. De tout âge, femmes et hommes, venus d’un peu partout, avec comme précieuse ambition, celle de faire bonne figure. Tous ces fous courant sur leurs drôles de godasses ne nous empêchent pas de vieillir. Ils font bien mieux que cela. Ils nous empêchent tout simplement de mourir…

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